Crise du coronavirus : une occasion historique pour le climat ? (Les Échos)
En gelant l'activité humaine, l'épidémie de coronavirus a déjà fait chuter les niveaux de pollution en Chine et en Italie. A l'heure de l'après-crise, faudra-t-il renflouer les industries polluantes pour repartir de plus belle ? Ou au contraire coupler la relance économique à une transition vers une société plus verte ? Les climatologues et ONG de protection de l'environnement veulent y croire.
Crise. Du grec « crisis » : nécessité de faire un choix. Le choix d'un changement sociétal ? La pandémie de coronavirus a mis le monde à l'arrêt, le temps de gérer la plus grave crise sanitaire que l'humanité ait connu depuis des décennies. Mais dans les prochains mois, à l'heure où il faudra faire redémarrer la machine, nous pourrions choisir d'emprunter un chemin différent. C'est ce qu'espèrent aujourd'hui les défenseurs de l'environnement. Car une autre crise mondiale se profile à l'horizon : celle du climat.
Le Covid-19 a déjà entraîné un répit temporaire pour la planète. La Chine, premier pollueur mondial, a vu ses émissions de CO2 et de NO2 s'effondrer depuis le début de l'épidémie. Une conséquence de la paralysie de son industrie, toujours très dépendante du charbon. La même chute spectaculaire de pollution atmosphérique a été constatée en Italie, bloquée par les mesures de quarantaine. Une autre image, très partagée sur Twitter, symbolise cette accalmie : celle des canaux de Venise, redevenus limpides avec la diminution du trafic des bateaux.
Si cette chute inopinée de la pollution « n'est pas le fruit d'une lutte contre le changement climatique planifié », souligne Clément Sénéchal, chargé de campagne à Greenpeace France, ce ralentissement a le mérite de nous laisser « mesurer et voir en temps réel ce que notre société implique en termes d'émissions de particules et de gaz à effet de serre », met en avant Christophe Cassou, climatologue et chargé de recherche CNRS. « Ca permet une prise de conscience qui est intéressante, renchérit Clément Sénéchal. Et ces effets sont visibles en très peu de temps. »
La preuve que l'on pourrait en faire plus pour le climat ?
Les mesures radicales prises par les gouvernements pour contenir la propagation du coronavirus « montrent bien la vitesse à laquelle ils peuvent agir dans l'urgence et face à la menace », pointe de son côté Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du Haut Conseil pour le Climat. « Des plans d'actions ont été développés rapidement, basés sur des données suivies de près et informées par la science. La réponse est rapide et coordonnée. La communication est continue. Des sommes importantes sont débloquées au niveau national ou européen pour aider les entreprises à passer le cap. On sait donc faire », argumente-t-elle.
Pour Greenpeace, ce drame sanitaire a montré qu'il était « possible de remobiliser un Etat providence », « interventionniste dans l'économie ». De même, selon l'ONG, les mesures de confinement agissent comme un révélateur des comportements individualistes. « Quand on émet des consignes vagues et que l'on fait confiance aux individus pour changer leurs pratiques, ça ne marche pas. On peut faire le parallèle avec les écogestes », avance le porte-parole.
De plus, dans cette crise, « l'Etat a démontré sa capacité à rendre un risque invisible perceptible à l'ensemble de la population », ajoute WWF. Un risque invisible, tout comme l'est le dérèglement climatique.
« Autant reconstruire de manière plus sobre »
En ces temps troublés, la véritable « opportunité » pour le climat se présentera lors de l'après-crise, s'accordent à dire ONG et climatologues. « J'espère que nous apprendrons de cette épreuve que nos sociétés sont vulnérables et qu'il faut les protéger, parfois coûte que coûte », souligne Corinne Le Quéré.
« La reprise future est une occasion historique pour choisir des trajectoires plus sobres. Comme il va falloir reconstruire, autant reconstruire de manière compatible avec les accords de Paris », abonde Christophe Cassou. « Le piège serait de penser que l'on peut continuer avec le même modèle », soutient Pierre Cannet, directeur du plaidoyer à WWF. D'autant que le dérèglement climatique « va amener un risque accru de nouvelles crises sanitaires », rappelle-t-il.
« Un plan de relance couplé à la transition écologique »
Au moment de la reprise, ce sera le moment de coupler le plan de relance aux objectifs de transition écologique. Greenpeace préconise un plan focalisé « sur les énergies propres, la rénovation énergétique des bâtiments, les mobilités douces, l'agriculture ».
Pour l'ONG, il faudra se demander « quels marchés ou industries on a envie d'aider ou de sauvegarder ». L'organisation prend l'exemple du transport aérien, peu taxé au regard de ses émissions polluantes, et qui appelle déjà les gouvernements à l'aide. « J'espère que c'était le sens des paroles d'Emmanuel Macron lorsqu'il a dit qu'il y aurait un avant et un après dans cette crise », pointe Clément Sénéchal.
Malgré cette catastrophe sanitaire à résoudre en priorité, WWF espère que « l'ensemble des décideurs, des experts, des ONG arriveront à réfléchir collectivement et à inventer un nouveau projet afin de prévenir de prochaines crises ».
Eviter un plan de relance qui mettrait les bouchées doubles
La crainte majeure dans les prochains mois ? Un plan de relance massif - déjà en discussion ça et là - qui mettrait les bouchées doubles pour compenser les pertes accumulées. « L'histoire a montré que le retour de balancier est parfois négatif », observe Clément Sénéchal en mentionnant la crise économique de 2008.
« Beaucoup de décisions vont devoir se faire rapidement dans l'urgence, au risque que les préoccupations environnementales passent au second plan », s'inquiète également Corinne Le Quéré. « On anticipe un déficit économique majeur, qui conduira à des orientations budgétaires fortes. »
Il faut se saisir de ces moments d'incertitude pour « prendre de la hauteur », conseille WWF. « Emmanuel Macron a dit que nous étions en guerre. Alors c'est une nouvelle paix qu'il s'agit de construire », philosophe Pierre Cannet. « Une paix des activités humaines. Une réconciliation de l'humanité avec la nature. Et avec elle-même. »