Décroissance, sobriété, minimalisme: des pratiques de riches? (Slate)

Décroissance, sobriété, minimalisme: des pratiques de riches? (Slate)

La crise climatique s'aggrave et pose nombre de défis environnementaux, sociaux et économiques, conduisant aujourd'hui 26% des Français à placer l'environnement en tête de leurs préoccupations. Alors que nos manières de consommer évoluent, la crise sanitaire semble avoir accentué le phénomène, venant développer la fibre du minimalisme et de la sobriété chez de nombreux concitoyens. Désormais, il convient de consommer moins, mieux et local. Une reconfiguration des pratiques, à laquelle la période des fêtes de fin d'année, qui connaît toujours des pics de consommation, n'a pas échappé. Mais ces résolutions sont-elles à la portée de tous? (…)

«Cette mutation des modes de vie témoigne d'une stratégie de distinction d'une catégorie de la population porteuse d'un bagage intellectuel, une mise en avant d'une identité sociale forte, à rebours de la valorisation du capital économique encouragée par notre société de consommation», explique Anne de Rugy. (…)

Comme le soulignait en 2019 le sociologue Matthieu Grossetête (…), les pratiques de consommation verte concernent avant tout les populations diplômées. Porteuses d'un capital culturel certifié, celles-ci souhaitent s'épanouir et se réaliser en dehors des dogmes dictés par les modes de vie consuméristes. (…)

[Or] « réparer plutôt que de racheter, faire les choses soi-même ou acheter des vêtements d'occasion sont des pratiques qui ont toujours eu cours chez les individus les moins aisés. Mais celles-ci ne sont pas revendiquées de la même manière selon les codes d'appartenance au milieu social. Dans les milieux défavorisés, on fait face à un minimalisme subi, lié à une précarité financière à laquelle vient souvent se greffer un sentiment de honte. » (…)

Dans La Société de consommation, publié en 1970, le philosophe et sociologue Jean Baudrillard écrivait: « On ne consomme jamais l'objet en soi (dans sa valeur d'usage) –on manipule toujours les objets (au sens le plus large) comme signes qui vous distinguent, soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur. » Un texte qui rappelle que l'acte de consommer n'est pas seulement économique: il est aussi un marqueur social qui vient valider l'appartenance d'un individu au groupe. (…)

[Anne de Rugy] « Pour cela, il faut dans un premier temps sécuriser le minimum vital pour tous en termes de logement et d'alimentation, pour que les exigences liées à la décroissance soient viables et jugées légitimes par tout le monde.»

Décroissance, sobriété, minimalisme: des pratiques de riches?
Depuis plusieurs années, les invitations à réinventer nos modes de consommation se multiplient. Mais sont-elles l’apanage des populations socialement privilégiées?

Bibliographie

Matthieu Grossetête « Quand la distinction se met au vert, conversion écologique des modes de vie et démarcations sociales » https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2019-1-page-85.htm

Anne de Rugy « Consommer moins: privation ou émancipation? Une étude sur les bifurcations professionnelles avec baisse de revenu: travail, consommation et rapport au politique » https://www.theses.fr/s240947 (à paraître)

Jean Baudrillard « La société de consommation » https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Société_de_consommation_(ouvrage)