Le Kivu, cette région de la RDC condamnée au crime (Courrier International)

Le Kivu, cette région de la RDC condamnée au crime (Courrier International)

Le 22 février, l’ambassadeur italien en RDC a été tué par une bande armée près de Goma. L’occasion pour ce reporter de guerre de La Stampa de revenir, désabusé, sur le macabre destin d’une terre en proie à des conflits sans fin.

La forêt du Kivu est tellement touffue qu’on a l’impression de voir un mur. Elle est belle à vous en faire mal aux yeux. Et mortelle. On se sent tout petit ici, plongé dans un environnement qui ne semble pas fait pour l’homme. Où la lutte pour la survie est tellement permanente, éreintante, obsessionnelle, qu’on ne peut plus penser à rien d’autre. Tout ici peut tuer, un serpent, Ebola et mille autres maladies sournoises et cruelles. Un autre homme aussi.

Les hommes justement. Ce sont eux les grands protagonistes de cette éternelle “Grande guerre d’Afrique” qui se joue dans l’est du Congo, longue, horrible, entachée de truanderies et de cruauté. Un conflit où aucun de ceux qui appuient sur la détente n’est celui qu’il prétend être.

Révolutionnaires et rebelles sont en fait des bandits. Si les gouvernementaux portent l’uniforme, ils ne se battent pas pour une paie que personne ne leur versera, mais, eux aussi, pour les rapines et les femmes à violer. Quid des soldats de l’ONU et de la plus vaste et désastreuse opération de paix de l’histoire : 20 000 hommes, un milliard de dollars par an ? Depuis vingt ans, les Casques bleus sont là, spectateurs frustrés d’une paix utopique qui ne vient pas. Mercenaires de misère, ils ont été enrôlés dans des pays plus pauvres encore que celui-ci.

Gangrainé par des groupes armés

Vous arrivez à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, et vous vous rendez compte qu’il y a deux mondes, celui du jour, régi par les fonctionnaires du très lointain gouvernement de Kinshasa, par les soldats, les Casques bleus. Et le monde de la nuit, où vous rencontrez les autres. Les derniers arrivés sont un groupe armé affilié au califat, les “Forces démocratiques alliées”, des traîne-sabres nés en Ouganda mais qui ont trouvé ici une zone de non-droit idéale et qui ont proclamé la naissance de la “province de l’État islamique en Afrique centrale”. Qui sait ? Il y a tant de richesses à piller qu’il pourrait bien être ici, dans cette région des grands lacs, le trésor des guerres saintes à venir. C’est un lieu pétri de cruauté et ça leur va très bien.

Et puis il y a les rebelles des tribus qui ne reconnaissent pas le gouvernement central. Et les enfants-tueurs de l’Armée de résistance du Seigneur [la LRA de Joseph Kony] qui, boutée hors d’Ouganda, a franchi la frontière congolaise. Dans les villages du Haut-Uélé, il ne se passe pas une journée sans que des enfants soient kidnappés, transformés en esclaves sexuels, en soldats, en espions, en porteurs.

Viennent ensuite les bandes des anciens génocidaires hutus du Rwanda des années 1990 – ils ont échappé aux représailles des Tutsis en se réfugiant dans les forêts du Kivu, où ils se sont mués en une armée de fantômes cruels et cupides [les Forces démocratiques de libération du Rwanda sont accusées d’avoir tué Luca Attanasio, l’ambassadeur d’Italie dans le pays, le 22 février]. Et puis il y a les petits seigneurs de guerre qui louent les services de miliciens pour défendre les mines, piller, ou offrir leur protection. Certains ont essayé de les compter : les groupes armés seraient au bas mot une centaine.

Richesse des sols

Ils sont en guenilles mais ont des kalachnikovs, détail qui sert à distinguer les patrons des victimes, les hommes des insectes à écraser. Comme [le lundi 22 février] lors de l’embuscade tendue au convoi de l’ambassadeur d’Italie, des soldats en haillons, affamés, surgissent des forêts, occupent les villages, pillent les mines. Les guerres du Kivu ont des noms mystérieux, liés non pas à la géopolitique mais au tableau de Mendeleïev : le coltan, l’or, le tungstène. Qui se souvient qu’ils viennent du Congo, où ils sont synonymes de crimes, d’exploitation ?

Le tantale, par exemple, un métal qui résiste à la corrosion. Il est extrait du sol dans ces forêts d’où ont jailli les assassins de l’ambassadeur. À la pelle, par des hommes et des enfants, les mains moites et boueuses. Toutes ces petites mains détruisent la forêt pour du tantale. Des hommes en armes les surveillent, le doigt sur la détente. Le patron de la concession, téléphone satellite à la main, gère les livraisons, les contrats, les comptes en banque et les pots-de-vin à verser aux ministres et aux fonctionnaires. Il paie aussi des hommes de main pour éliminer la concurrence et traquer les esclaves qui tentent de fuir. Et la cassitérite ? En avez-vous déjà entendu parler ? Elle sert à souder et entre dans la composition de certains alliages : elle se cache dans cette terre noire comme du sang coagulé.

Survivants

Tous, ici, sont rescapés de plusieurs décennies de tueries. Des âmes fragiles et craintives, des enfants innocents de la guerre, de la peur, de l’exil et de la faim. Tous ont survécu en fuyant, en marchant, implorant la pitié en mille dialectes. Ils sont encore en vie. Ils ont échappé aux persécutions délirantes de Mobutu [qui a gouverné la RDC, rebaptisée Zaïre de 1965 à 1997]. Ils peuvent raconter l’arrivée des nuées de Hutus rwandais, poursuivis par des Tutsis vengeurs. Ils ont échappé aux soldats des deux présidents Kabila – le père, Laurent Désiré Kabila [président de 1997 à 2001], et le fils, Joseph Kabila [président de 2001 à 2019], chef de file de la nouvelle génération de despotes africains.

Les femmes ont survécu aux violences de toutes les milices de passage. Elles sont en vie, et peut-être vaut-il mieux essayer d’oublier. Des enfants enguenillés barbotent dans la boue et les immondices. Eux aussi sont en vie, ils ont échappé à l’enrôlement dans quelque armée de fantômes. Quand la région s’embrase, tous sont prêts, ils prennent leur baluchon contenant les rares affaires qui ont échappé aux pillages et se mettent en marche, patients et soumis. Ils devront se cacher dans les profondeurs luxuriantes de cette forêt chaude et humide qui assiste, indifférente, à ces tragédies. Pacotille humaine que personne n’ira défendre l’arme à la main.

Eldorado du terrorisme

Les drapeaux noirs flottent désormais sur les rives des grands lacs, rebaptisée “Province d’Afrique centrale”, théâtre de conflits tribaux acharnés, carrefour de guerres sempiternelles pour du cuivre, de l’uranium ou du coltan. Nées en Ouganda et aujourd’hui ralliées au califat, les Forces démocratiques alliées sévissent au Kivu, au Congo. Ces terres riches en minéraux et politiquement fragiles seront l’eldorado du terrorisme international.

Domenico Quirico

Non-droit. Le Kivu, cette région de la RDC condamnée au crime
Le 22 février, l’ambassadeur italien en RDC a été tué par une bande armée près de Goma. L’occasion pour ce reporter de guerre de La Stampa de revenir, désabusé, sur le macabre destin d’une terre en proie à des conflits sans fin.

Voir aussi la bande dessinée "Kivu" qui fait découvrir cet univers et rend hommage au Prix Nobel de la paix 2018, le médecin Denis Mukwege.