Le sacre des victimes (Philosophie magazine)
Les victimes seraient-elles devenues le centre de gravité de l’histoire, celles et ceux avec qui l’on s’identifie, qu’on commémore et qu’on sacralise ? Dans leurs nouveaux essais, Pascal Bruckner et François Azouvi font la généalogie de cette transformation. Et s’interrogent sur ses répercussions éthiques et politiques.
« On vous croit ! » L’adresse à toute victime de violences sexistes ou sexuelles n’est pas seulement cette invitation à « libérer sa parole » en toute sécurité ; elle apparaît également comme le véritable credo (« je crois ») d’un culte moderne rendu aux victimes, lesquelles seraient les personnages centraux de la vie publique, nouveaux héros ou figures renouvelées du sacré. Telle est la thèse des ouvrages de Pascal Bruckner et de François Azouvi, qui portent quasiment le même titre : Je souffre donc je suis. Portrait de la victime en héros (Grasset) pour le premier et Du héros à la victime. La métamorphose contemporaine du sacré (Gallimard) pour le second.
Ils démontrent l’un et l’autre l’acceptation de ce que nous appellerons un « triangle de mobilisation » dont les sommets sont représentés par trois sources incontournables de victimisation : la Shoah, le genre – à travers la place particulière accordée aux violences sexuelles – et la race, qu’il s’agisse du rôle principiel de l’esclavage ou de celui de la colonisation. Ils en concluent à l’enracinement d’une véritable idéologie victimaire dont ils font la généalogie. (…)