Pourquoi ces physiciens devaient arrêter leur travail pendant les matchs de foot
Il y a quelques années, j'ai eu le plaisir de faire une thèse en physique des plasmas, sur ces machines appelées tokamaks, gros donuts cherchant à reproduire les réactions nucléaires de fusion, telles qu'elles ont lieu au centre du Soleil. Ces réactions demandent une chaleur et/ou une pression telles qu'on ne peut pas juste mettre les réactifs dans une casserole. Elle fondrait, et vous avec. On les fait donc flotter sur une autoroute à particules, magnétique, connectée sur elle-même, puis on chauffe le tout avec des gros micro-ondes et des super-sarbacanes.
En Grande Bretagne, un tel gros donut a été construit à Culham, à quelques kilomètres d'Oxford. Pas trop loin pour bénéficier du rayonnement universitaire de la ville voisine mais pas trop près non plus pour que les étudiants à Culham restent concentrés sur leur travail et n'aillent pas trop faire la fête !
Le gros donut dont je parle s'appelle JET, pour Joint European Torus. Haute comme un immeuble de quatre étages, cette machine est rentrée dans l'histoire en 1997 en produisant une quantité d'énergie remarquable en comparaison de l'énergie injectée pour chauffer le plasma.
Mais pour que l'autoroute à particules fonctionne et que la mixture chauffée ne s'écrase pas contre la paroi, il faut imposer un champ magnétique puissant, à l'aide de bobines. Certains tokamaks tels que Tore Supra/WEST et le futur ITER utilisent des bobines supraconductrices pour maintenir à peu de frais le champ magnétique principal.
Mais JET, sans supraconducteur, utilise des bobines de cuivre de douze tonnes et fait passer dans chacune un courant considérable, de plusieurs dizaines de millions d'ampères. En comparaison, une prise électrique domestique supporte des dizaines d'ampères tout au plus.
Pour fonctionner, JET a besoin pour quelques secondes d'une alimentation d'une puissance de presque 1400 MW, soit l'équivalent d'un gros réacteur nucléaire entier ! Il est déraisonnable de capter cette puissance entièrement du réseau électrique britannique, si bien que 800 MW sont assurés par deux grandes roues métalliques de 9 mètres de diamètres, pesant… 775 tonnes. Lancées progressivement à près de quatre tours par seconde, elles transforment en quelques instants leur inertie sous forme de courant pour alimenter la machine.
Restent 575 MW qui sont extraits du réseau électrique, ce qui représente environ 1% de la production nationale. C'est beaucoup. Si bien que, pour éviter un blackout, les opérateurs de JET ont pour instruction de ne pas lancer la machine à certains moments-clés de la journée, tel le coucher du soleil où de nombreuses personnes allument la lumière chez eux. Mais aussi pendant les mi-temps des matchs de foot et les tunnels publicitaires associés, car le britannique qui se respecte va en profiter pour allumer la bouilloire et préparer le thé.
C'est pourquoi les scientifiques doivent mettre en pause leurs expériences pendant les mi-temps des matchs de foot à la TV. L'histoire ne dit pas s'ils en profitent pour regarder le jeu.
En savoir plus:
- https://web.archive.org/web/20160105221442/https://www.euro-fusion.org/fusion/jet-tech/jets-flywheels/
- https://web.archive.org/web/20170508171930/https://www.euro-fusion.org/2012/05/football-fever/
- https://web.archive.org/web/20171214124621/https://www.euro-fusion.org/2011/10/775-tons-of-steel/
Voir aussi: