« Une fusée pour Mobutu » : un rêve spatial brisé par la géopolitique de la guerre froide (Le Monde)
C’est l’histoire d’un rêve. En 1975, l’Allemand Lutz Kayser lance l’Otrag (Orbital Transport und Raketen AG), une société privée spécialisée dans la fabrication de lanceurs spatiaux low cost. Son idée : en simplifier la construction pour réduire les coûts. « On avait développé des modules qui puissent s’assembler comme des Lego. Trois techniciens suffisaient pour assembler une fusée complète », raconte Lutz Kayser dans le passionnant documentaire d’Oliver Schwehm, Une fusée pour Mobutu. Fly Rocket Fly. (…)
C’est une rencontre de hasard qui le mènera à passer un contrat en 1975 avec la République du Zaïre de Mobutu Sese Seko. « Les négociations ont duré quinze à vingt minutes », se souvient Frederic Weymar. L’homme d’affaires, qui a mis en relation l’Otrag et le dictateur, avait ses entrées à la présidence zaïroise pour avoir organisé, à Kinshasa, le combat historique entre Mohamed Ali et George Foreman, en octobre 1974.
Au pouvoir depuis 1965, Mobutu, qui a déjà imposé la terreur, voit tout l’intérêt de soutenir à moindres frais un projet qui pourrait lui permettre d’être le premier sur le continent à lancer son propre satellite et ainsi surveiller ses voisins belliqueux. Il octroie à l’Otrag un territoire de 100 000 km2 – l’équivalent de l’Allemagne de l’Est – dans la province du Katanga « avec droit de jouissance intégral pour cinquante ans ».
Commence alors une incroyable aventure pour une quarantaine d’ingénieurs et de techniciens aux allures de Robinson Crusoé, qui installent, en pleine jungle, sur un plateau surplombant de 1 400 mètres la vallée de la Luvua, une base de vie fleurant bon les années hippies avec saucisses grillées, minishorts et marijuana. (…)