Pour les réseaux sociaux, la fin d’un règne ? (Morgane Tual, Le Monde)
L’arrivée de Facebook, en 2004, avait représenté un big bang, transformant nos habitudes en ligne et consacrant l’ère des réseaux sociaux. Une ère où tout un chacun, sans connaissance technique aucune, pouvait d’un clic publier un texte, une photo, une vidéo, à destination de ses amis. Une ère dans laquelle nous étions enclins à nous livrer, encouragés par la course aux likes, et où la définition d’« amis » s’est étendue au point de ne plus avoir besoin de les connaître. (…)
Mais (…) les internautes ne s’exposent plus comme avant. Pour s’exprimer, ils se retranchent dans des espaces plus protecteurs. A commencer par les messageries privées, dont la fréquentation ne cesse d’augmenter. WhatsApp, propriété de Meta, compte plus de deux milliards d’utilisateurs actifs mensuels et ne cesse de progresser.
Résultat : nous ne partageons plus de Web commun. Les algorithmes enferment les internautes dans des silos informationnels confortables, où leur sont servis les contenus les plus aptes à leur plaire – des chats pour les amateurs de chats, du tricot pour les amateurs de tricot, des complots pour les amateurs de complots. Les fameuses « bulles de filtres » théorisées par le militant et entrepreneur américain Eli Pariser en 2011, qui nous avaient éclatées à la figure lors de l’élection du président américain Donald Trump en 2016. (…)
La vaste agora que devait être le Web n’est plus – si tant est qu’il l’ait un jour vraiment été. Ce cyberespace rêvé par les premiers idéalistes d’Internet, où chaque parole pourrait s’exprimer à égalité, pour venir nourrir un débat public, mondial, plus riche que jamais, a fait long feu. Les réseaux sociaux en étaient la tentative d’incarnation la plus aboutie, et la déception fut à la hauteur de l’espoir : diffusion de fausses informations, harcèlement, exploitation des données personnelles, complotisme, manipulations politiques, deepfakes pornographiques, débat hystérisé… (…)
Alors que les internautes se replient dans des espaces clos, toujours sous la coupe des grands acteurs du numérique, ils témoignent de l’échec de l’agora globale qu’était censée nous offrir Internet. Et de la prospérité de ce qui commence petit à petit à ressembler à la télé du XXIe siècle, avec ses stars, ses dramas, et son public mutique.